Directive dite « Pilier 2 » : Mise en place d’un taux minimum d’imposition mondial pour les multinationales
Afin d’instaurer de « la justice en matière fiscale », le projet de directive dite « Pilier 2 » a été présenté le 17 juin 2022 lors de la dernière réunion du Conseil Ecofin (formation rassemblant les ministres des finances des Etats membres de l’Union Européenne («UE»). Si l’immense majorité des Etats membres ont rapidement apporté leur soutien à la proposition de directive, la Pologne a longtemps fait valoir son droit de veto. Lors du dernier Conseil Ecofin, cette dernière a finalement donné son accord pour que le texte soit adopté. En revanche, c’est dorénavant la Hongrie qui a formulé des réserves, rendant impossible, pour l’heure, l’adoption du projet de directive. Ce projet de directive vise à instaurer un taux d’imposition effectif minimum sur les activités mondiales des grandes sociétés multinationales[1]. Ce dispositif anti-GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) respecte l’engagement pris par les Etats membres de l’UE d’agir rapidement suite au modèle de règles dites « Pilier 2 » pris par l’Organisation de Coopération et Développement Economiques («OCDE»). Si l’accord était initialement soutenu par l’ensemble des Etats membres de l’UE, le projet de directive a fait ressortir des problèmes techniques liés aux intérêts et aux spécificités des systèmes fiscaux de chacun des États membres. Cette opposition au niveau du conseil Ecofin n’a toutefois pas empêché le Parlement européen d’adopter la proposition de directive « Pilier 2 » avec quelques amendements. Ces derniers ont été adoptés pour garantir à la Commission européenne le pouvoir d’adapter le projet de directive par voie d’actes d’exécution[1]. Les modifications que pourrait apporter la Commission porteraient notamment sur les éléments de définition ou les termes de calcul pour l’application du projet de directive. La dernière réunion du Conseil Ecofin est l’occasion de faire une revue des principales dispositions constitutives du projet de directive « Pilier 2 ».
Définition de la résidence fiscale
Sans que cela ne puisse donner lieu à interprétation, la résidence fiscale dépend désormais du lieu d’établissement du « siège de direction ». Cette notion est définie comme le lieu de création de l’entité ou bien encore le lieu où les décisions de gestion et/ou commerciales sont prises. L’on perçoit aisément les cibles que sont les sociétés liées à l’économie numérique. Leur modèle économique leur permet de transférer assez aisément le bénéfice à l’aide de royalties et autres intérêts vers des sociétés situées ou domiciliées dans des pays à fiscalité privilégiée. Cette notion de « siège de direction » permettra à l’avenir de limiter le treaty shopping.
Instauration d’une règle anti-abus (article 4 bis)
Les termes de cette règle anti-abus sont inspirés de la directive prise pour la lutte contre les pratiques d’évasion fiscale (directive dite ATAD), directive transposée à l’article 205 A du code général des impôts. Sont visés les montages n’ayant aucune substance économique et dont le seul but serait de bénéficier d’un avantage contraire aux objectifs du projet de directive.
La règle d’inclusion du revenu (« RIR»)
La RIR est le mécanisme qui permettra au pays de résidence de toute société mère d’une multinationale d’assujettir à un impôt minimal (« top up tax ») toute société mère d’un groupe. Il serait calculé par la différence entre le taux minimum d’imposition (fixé à 15 %) et le taux effectif d’imposition de l’Etat d’implantation des filiales. Ceci viserait donc l’ensemble des entités domiciliées dans un Etat dit à fiscalité privilégiée. Si la société mère se trouve dans un Etat n’ayant pas transposé la RIR, la société suivante dans l’ordre de la chaîne de détention y sera assujettie (sauf si le capital détenu est inférieur à un pourcentage de 80%). Une société mère intermédiaire sous contrôle partiel (c’est-à-dire détenue à plus de 20 % par un ou plusieurs tiers) y serait également assujettie.
La Règle relative aux paiements insuffisamment imposés («RPII»)
La RPII s’applique dans les cas où la RIR n’aurait pas été entièrement appliquée et où le taux effectif d’imposition de l’Etat de domiciliation serait toujours inférieur à 15 %. Elle sert de garantie dans les cas où la RIR ne serait pas en mesure, à elle seule, de toucher les sociétés situées dans des Etats où le taux d’imposition est inférieur au seuil de 15%. L’objectif de la RPII est de prendre en considération l’absence de RIR dans un Etat à faible taux d’imposition et de conférer le droit d’imposer les revenus aux autres Etats :
- en attribuant au préalable l’impôt complémentaire aux entités du groupe qui ont généré des flux financiers vers des entités domiciliées dans les Etats à faible taux d’imposition puis, si nécessaire,
- en attribuant tout impôt complémentaire restant aux entités du groupe qui n’effectueraient pas de paiement direct vers des entités domiciliées dans des Etats à faible taux d’imposition mais qui se trouveraient dans une position de bénéficier d’une déductibilité intragroupe.
La détermination du montant de l’impôt s’obtiendrait en calculant la différence entre le taux minimum (15%) et le taux effectif d’imposition de l’Etat n’ayant pas instauré une telle règle. La RPII joue un rôle de soutien à la RIR en attribuant des droits d’imposition aux Etats ayant transposé la RIR. La RPII pourrait ainsi être déclenchée :
- si les entités du groupe situées dans des Etats à faible taux d’imposition sont détenues directement ou indirectement par des entités domiciliées dans des Etats qui n’ont pas mis en œuvre la RIR ou bien
- si la juridiction dans laquelle l’entité mère d’un groupe multinational est résidente d’un Etat à fiscalité privilégiée n’ayant pas transposé ce dispositif (situation où il n’y aurait pas d’entité dans la chaîne de propriété qui peut appliquer la règle d’inclusion des revenus
Instauration d’une clause dite de réexamen par le Parlement européen (article 53 bis)
Il a été prévu que la Commission européenne puisse organiser un examen des effets de la transposition de la directive dans les cinq années qui suivront son entrée en vigueur. La Commission évaluera notamment les effets sur les finances publiques.
Calendrier des prochaines dates importantes
Les échéances à venir sont les suivantes :
- 4e trimestre 2022 : publication du guide administratif GloBE de l’OCDE ;
- 31 décembre 2022 : date limite pour la mise en œuvre de la directive dite « Pilier 2 » en droit interne ;
- 2023 : Mise en place de la gouvernance GloBE et d’une solution GloBE IT ainsi que du reporting notamment sur la cotation en bourse ;
- 1er janvier 2024 : première application prévue au sein de l’UE pour tous les exercices commençant après le 31 décembre 2023 (c’est-à-dire à partir du 1er janvier 2024 ou à partir de l’exercice 2024/2025).
L’introduction des règles de gouvernance et leur mise en œuvre administrative et informatique peut prendre plusieurs trimestres. Les entreprises concernées doivent envisager la mise en place d’un plan d’action sans délai à compter de la transposition de la proposition de directive en droit interne.
[1] Multinationales dont le chiffre d’affaires est supérieur ou égal à 750 millions d’euros.
[2] Acte non législatif qui établit des règles détaillées permettant la mise en œuvre uniforme d’actes juridiquement contraignants de l’Union.